LE GUZHENG
LA CITHARE CHINOISE A 21 CORDES
Instrument souverain de tous les sons...
群声之主...
Depuis quelques 2500 ans, le guzheng, ou zheng, fait sonner sa voix singulière au sein de la vaste et prestigieuse famille des cithares sur table. Les koto, kayageum, dàn tranh ou guqin, du Japon à la Corée, du Vietnam à la Chine, chacun à leur façon, réalisent un équilibre sonore miraculeux, véritable signature des musiques d’Asie extrême-orientale et fruit d’une facture lentement maturée, pensée en résonance à des proportions numériques réputées exprimer des principes régulateurs du cosmos. Le guzheng, est une cathédrale toute vouée à la figuration par le son et aux couleurs timbrales.
Car, si la cithare chinoise fait entendre des notes, bien sûr, ce qu’elle fait surtout, c’est autre chose : elle bruisse… Elle murmure, grince, grogne, bourdonne, chuinte, gronde, tempête, clapote, bouillonne, jacasse, pépie, vrombie, crie, explose…
Ce drôle de bout de bois, surmonté de 21 cordes, équipé d’une ligne oblique de chevalets mobiles que l’on fait glisser sur la caisse pour changer de mode, est une planche sur laquelle l’interprète, par tout un arsenal de gestes virtuoses, « pétrit » « malaxe » « travaille » le son…
Et voilà que le guzheng se met à dire les vents, les ouragans, les mers, les cascades, les ruisseaux, les montagnes léchées par la brume, les jonques qui procèdent paresseusement, les oiseaux qui s’abandonnent à des jeux d’eaux…
Et voilà que le guzheng nous fait le récit de la saga des grands personnages, des batailles héroïques, des chevauchées épiques… Et voilà que le guzheng nous donne à vivre ces scènes de tous les jours qui font le tissu de la vie paysanne – la chasse, le travail au champ, les réjouissances, l’alcool, la danse …
Et voilà que le guzheng nous raconte les historiettes saugrenues de toute une galerie de personnages facétieux, résidents du panthéon bigarré chinois…
Parfois aussi, le zheng se fait méditatif, dit la solitude, le deuils, les amitiés indéfectibles que brise pourtant la mort, les tragédies amoureuses, les vies perdues dans l’attente…, ou, plus loin, plus abstrait, met en sons l’indicible : une mystérieuse « pensée végétale », le « non-être » la « vacuité », la mécanique cosmique en marche…
Rarement mentionnée dans les sources chinoises classiques, dédaignée par l’élite lettrée de l’Antiquité, la pratique du zheng prend racine loin des cours et des palais, au cœur du peuple, de ses fêtes, de ses réjouissances et de sa vie quotidienne. Apparu au Nord de la Chine dans l’ancien pays de Qi, l’actuel Shandong, pendant la période des Royaumes combattants, l’art du zheng se diffuse peu a peu depuis cette aire d’origine sur l’ensemble des pays chinois. Chaque terroir traversé est un nouvel espace culturel dans lequel la cithare à chevalets mobiles trouve à se lover et à toucher l’âme de ses habitants. Sa palette expressive se mâtine alors d’emprunts aux traditions musicales locales et les nouvelles caractéristiques stylistiques qui s’y forgent – est-ce vraiment curieux ? -, semblent comme un écho à la couleur tonale des dialectes du cru, rude et vigoureux au Nord, suave et chaloupé au Sud.
En récital, je joue parfois certaines de ces pièces, souvent facétieuses, picaresques, toniques, rythmées, issues de ces différents foyers stylistiques – le Shandong, le Henan, le Zhejiang, la ville de Chaozhou ou la musique du peuple Kejia…- qui sont l’héritage directs de traditions populaires bimillénaires. Graduellement, le guzheng acquiert ses lettres de noblesse. D’abord, il s’émancipe du rôle d’accompagnement du chant auquel on le cantonnait anciennement pour devenir un instrument soliste. Peut-être est-ce ainsi, pour occuper la place laissée vacante par le chanteur, que le guzheng s’est mis a « parler » ? Ou peut-être encore, est-ce le fait de s’être longuement acoquinée avec ces musiques de spectacle que donnaient alors conteurs et bateleurs sur les places des marché que la cithare chinoise a acquis sa « dramaturgie » particulière ? Quoi qu’il en soit, il reste de ces accointances passées avec le conte, avec les légendes, avec le récit, une des caractéristiques les plus saillante du guzheng : sa puissance expressive ensorcelante, sa force suggestive stupéfiante.
LA CITHARE CHINOISE A 21 CORDES
Instrument roi de toutes les musiques
众乐之师
Au Moyen-âge, à partir des Tang et des Song, la sphère des lettrés prend en considération l’instrument. Peu a peu, et parallèlement aux traditions populaires qui perdurent, se façonne un répertoire « classique ». Des musiciens de renom inventent un art savant, sophistiqué, baigné de références littéraires et philosophiques, souvent méditatif, contemplatif, inscrit dans un temps long, dont l’élégance se décline dans une esthétique économe de notes… Certaines de ces pièces, transcrites sur partition, nous ont heureusement été transmises dans des recueils anciens et prestigieux et représentent aujourd’hui le répertoire canonique de l’instrument.
A partir des années 50 et 60, une jeune génération de compositeurs, plongée dans la fièvre idéologique des années Mao, arrive miraculeusement à se frayer un chemin au sein d’un écheveau tenu de contraintes pour trouver sa propre voie d’expression.
Au-delà de la thématique socialiste nécessaire, au-delà des emprunts obligés aux mélodies populaires ou aux chants paysans, ces compositeurs-funambules parviennent à conjuguer une curiosité gourmande pour l’esthétique occidentale – la virtuosité, l’harmonie…- avec, plus ou moins inconsciemment, la référence à un univers esthétique chinois « traditionnel » qui exerce sur eux – malgré eux ?- une fascination a laquelle ils ne savent résister. De ce magma incertain naissent beaucoup de pièces discutables et d’autres, éclatantes de talent.
Parallèlement, d’autres créateurs, d’autres interprètes organisent un immense brassage musical, font voler en éclat le modèle antique de la gamme a cinq sons et vont puiser auprès des minorités ethniques – Miao, Dong, Yao, Yi, ouighoures, mongole, tibétaine… , voire plus loin, au Japon, en Corée… – la saveur âpre de sonorités inédites et de rythmes nouveaux… Dans cette même veine, certains artistes porte un regard de côté sur le répertoire d’autres instruments phares de la musique chinoise, la cithare guqin, le luth pipa… , pour étendre le champ expressif du guzheng.